Le télétravail en France a longtemps été décrié et n’a jamais réellement emporté l’adhésion ni par les représentants paritaires, ni par les dirigeants et ni par les managers. A contrario de notre pays (où le prérequis de l’efficacité managériale ainsi que celles des collaborateurs passent par le présentiel) dans d’autres cultures, le télétravail se développait progressivement !

Il a fallu un petit virus venu de nulle part pour déconstruire les préjugés, les craintes et les réserves culturelles mondiales pour que le Télétravail s’impose. Chaque entreprise, chaque manager et collaborateur s’est vu imposer une nouvelle organisation. Et ce, sans tenir compte de la culture des pays, de la préparation des entreprises, des à-priori des individus pour intégrer ce mode de travail. Toute la mise en œuvre a reposé essentiellement sur l’agilité de chacun des protagonistes et de la conduite du changement menée dans l’urgence par l’entreprise.

Alors comment migrer d’un télétravail de crise à un télétravail plus durable ?

Des études ont démontré l’intérêt de ce mode de travail qui s’inscrirait dans une culture “win-win” pour tous dès lors qu’il aurait été pensé et maitrisé dans ses modalités d’application.

Les entreprises devront se poser et prendre du recul sur ce retour d’expérience :

  • Quelle analyse vont-elles retirer de ce changement : est-ce concluant ?
  • L’acculturation s’est-elle faite, et ce malgré un passage en force avec en prime “le brouillage” des repères ?

Cela impliquera toutes les strates de l’entreprise et impactera fortement les managers dans leur leadership, leur capacité, leur flexibilité à modifier leur management présentiel en un management situationnel tout en modifiant et faisant face à leurs propres représentations et leurs propres freins. Et Les collaborateurs ne sont pas en reste : ils ont dû faire face a leur propre autonomie, le manque de confiance, la surveillance à distance et le maintien de la performance.

Toutefois tout ne dépend pas essentiellement des Hommes mais l’organisation, les moyens et les conditions mises en œuvre sont à considérer fortement. Etant à l’origine du succès ou de l’échec selon…

Ce qui pourrait passer pour un épiphénomène est en cours de perdurer voire de s’installer et révolutionner définitivement nos mœurs, nos croyances et nos pratiques.

En effet, si le télétravail s’avère finalement bénéfique il va falloir l’évaluer. Là est toute la question ?!

Les courants de pensée du monde du Travail s’en sont emparés car le rapport au travail en est modifié. Que ce soient les liens avec les collègues, la place et le rôle des managers, la culture au sein des entreprises et les conséquences sur la société ! De grandes transformations dont on n’a pas encore mesuré vraiment les impacts. Philosophes, économistes, anthropologues, sociologues se penchent sur les transformations en cours. La digitalisation avait bien entamé le processus, la crise covid a accéléré ce même processus.

Le télétravail a un avenir devant lui mais il est plus que nécessaire voire urgent de le maitriser et de réfléchir ce qu’il induit dans la vie de chaque entreprise et de ses collaborateurs.

Et c’est pourquoi le Comex d’Orange a initié dès juillet 2020 une démarche innovante de Think Tank interne. Cette démarche a mobilisé plus de 70 salariés de toutes géographies, cultures, métiers et générations du groupe et a été menée 100 % à distance, abolissant ainsi toute frontière dans la réflexion. De même, une réflexion sur ces thèmes a été ouverte avec les partenaires sociaux. Pour anticiper les nouveaux équilibres et la place de la distance dans les pratiques de travail de demain, en intégrant les enseignements, et pouvoir se projeter dans un futur où les capacités et liberté de choix seront de nouveau possibles.

 « Demain, le travail à distance resterait l’un de nos modes de travail habituels, nativement intégré aux pratiques collectives, aux modèles de management et, selon des équilibres différents, ouverts à un plus grand nombre de métiers ».

Le « bureau » de demain sera avant tout un lieu de lien, de travail en collectif et de services : des lieux et espaces de travail ouverts à tous les salariés, conçus pour soutenir les coopérations et nourrir le sentiment d’appartenance à l’entreprise.

Il y aura un avant/après dans le rapport au lieu de travail : un monde en 100 % présentiel au sein des locaux de l’entreprise semble révolu, de même qu’un monde avec une seule organisation du travail valable pour toutes les équipes.

Michel Serres avait écrit que le numérique serait une rupture anthropologique à l’instar de l’imprimerie. Il est évident que les grandes mutations trouvent souvent leur source dans une catastrophe qui fait dévier le cours de l’humanité !

Le télétravail sera-t-il vraiment une rupture dans nos modes de travail ?

Certains économistes sont septiques d’autres pensent que le cap est donné et nous ne reviendrons jamais en arrière !

Demain, l’entreprise aura besoin de nouvelles souplesses ce que les salariés demandent également. Nous allons vers des modèles d’équilibre présentiel/distanciel différents, selon les métiers, mais aussi très certainement selon les moments de vie des salariés, ou les moments de parcours profes­­­sionnels (par exemple, plus de présence au moment du démarrage sur un poste ou au moment de la transmission avant départ en retraite, …). Ces nouveaux équilibres apporteront également des opportunités pour répondre à nos enjeux en matière de diversité, et mieux prendre en compte les situations de handicap par exemple.

Parmi les défis qui sont devant nous :

  • Le maintien du collectif de travail, du lien social, et la prise en compte de l’expérience de travail pour chacun ainsi que des nouveaux risques psychosociaux liés à cette évolution, sont certainement ceux qui nous demanderont le plus d’investissement.
  • L’accompagnement des salariés et des managers est essentiel : les aider à définir les nouveaux rituels d’équipe, les nouveaux équilibres, les soutenir dans leurs actions pour dessiner l’expérience de travail au sein de leur équipe et du collectif de l’entreprise.

Mais attention au glissement : le télétravail n’est ni une RTT ni un temps personnel ni un mix professionnel.

La tentation serait forte de profiter de cette confiance et cette toute fausse liberté !

Qu’en dit le droit social ? Le télétravail n’est pas un statut !

Le collaborateur ou salarié reste soumis au lien de subordination par définition aux directives de l’employeur. Toutes actions ou comportements ayant pour objet de ne pas répondre aux sollicitations de son employeur durant cette amplitude seraient passibles de sanctions voire de faute.

Ce qui pourrait passer pour une liberté chez-soi pourrait vite se transformer en une angoisse car mal vécue de part « un chez-soi travaillé et imposé », la frontière et les repères pro-perso brouillés.

En effet, le télétravail ne convient pas à tous et gare aux entreprises qui seraient tenté de l’imposer à tous. La réussite se trouve dans le couple que forme la volonté du collaborateur et du manager : Volonté affichée et acceptée des deux parties, sachant que le manager attend en retour de loyauté et de performance.

A ce jour, la quotité n’a pas pu être maitrisée mais il s’avère que des études menées ont démontré que plus le nombre de jours télétravaillés augmente plus le lien social se délite (préjudiciable à partir de 3 jours hebdomadaire). Idem si l’activité télétravaillée dans une équipe dépasse 30% de l’ensemble de l’activité totale de l’équipe, c’est le collectif qui en supporte les conséquences et la production qui en pâtît.

Un mode de travail qui s’appuie donc sur du volontariat !

Le salarié se positionne clairement en exprimant son souhait de télétravailler. Ses motivations sont d’ordres divers : gagner du temps de transport, s’extraire d’un environnement de travail bruyant pour se concentrer…la mise en place du télétravail entraine des conséquences sur la vie personnelle qui peuvent aller de la transformation d’une partie de son logement en bureau à l’organisation de sa journée. Si l’entreprise souhaite capitaliser sur les atouts du télétravail, elle ne peut en aucun cas l’imposer à ses salariés ni licencier ceux qui refuseraient de s’y plier.

Les différentes caractéristiques :

  • Un mode de travail réversible
  • Des conditions de travails et modalités qui garantissent le succès
  • Une quotité et temporalité maitrisées
  • Un mode de travail dans un lieu défini
  • Zéro compromis sur la qualité et services fournis habituellement
  • Un mode de travail établit et encadré par un accord d’entreprise cadré lui-même par le code du travail et les différentes ordonnances liées à la crise sanitaire

Les multiples formes de travail à distance

Aujourd’hui

L’expérience vécue au cours de l’année 2020 semble avoir profondément modifié les représentations du télétravail.

Les DRH suite du premier confinement :

  • 85 % des DRH souhaitaient développer le télétravail
  • 82 % envisageaient de revoir à la hausse la part des postes éligibles au télétravail la veille du second, l’enthousiasme semble être un peu retombé
  • Plus que 50 % à juger souhaitable de pérenniser le télétravail avec des inquiétudes sur l’engagement et le sentiment d’appartenance à distance.

Les dirigeants. En janvier 2021, les dirigeants restent tout de même 67 % à se déclarer favorables à la mise en place du télétravail dans leur entreprise. Il faut cependant nuancer cet engouement en fonction des types d’entreprise. Si les grands patrons du CAC40 et des entreprises de la Tech se déclarent plutôt prêts à saisir l’opportunité pour modifier durablement les pratiques de travail à la lumière de l’expérience acquise, une étude menée par la CPME à l’été 2020 montre en revanche que les patrons de PME y sont nettement moins favorables, le télétravail limitant pour 84 % d’entre eux la cohésion d’équipe et augmentant le risque d’isolement des personnes.

En avril 2021, ils ne sont ainsi que 23 % à déclarer vouloir pérenniser le télétravail, contre 80 % des dirigeants des grandes entreprises, du fait principalement de leur plus faible digitalisation mais également d’une structure de l’emploi qui se prêterait moins au télétravail.

Un clivage PME-grand groupe et province-Paris est clairement ressenti au sein du patronat concernant le télétravail, comme sur de nombreux autres sujets.

Les managers en 2021,  

  • Divergence de perception entre les dirigeants et les managers à l’égard du télétravail
  • Les dirigeants d’entreprise le plébiscitent désormais aux deux tiers,
  • La part des managers favorables au travail distanciel a baissé en deux ans, passant de 55% en 2018 à 50% à fin 2020, et près d’un quart d’entre eux se déclare désormais défavorable au télétravail.
  • Les managers sont épuisés et seul un tiers (32 %) déclare avoir bénéficié d’un accompagnement dans la mise en œuvre du télétravail.

Malgré ces difficultés, ils reconnaissent toujours au télétravail les bénéfices suivants :

  • Une plus grande autonomie des équipes
  • Une diminution des absences et une meilleure satisfaction des salariés

Du côté des salariés, la satisfaction vis-à-vis du télétravail a baissé, mais demeure élevée. Toutes les enquêtes (CFDT-Kantar, Res publica-Metis #Mon travail distance, Malakoff Humanis, ANACT) montrent un haut niveau de satisfaction des salariés pour le télétravail pendant le confinement, malgré des conditions matérielles parfois difficiles.

Durant le premier confinement, 88 % souhaitaient poursuivre le télétravail (ponctuellement ou régulièrement)

Mais, là encore, l’enthousiasme s’essouffle un peu.

En septembre, ils ne sont plus que 75 % à souhaiter continuer à l’avenir ce qui reste un chiffre très élevé. Parmi eux, 40 % aspirent à télétravailler 2 jours par semaine, alors que 9 % à 21 % (selon différents sondages) le souhaitent à temps plein et qu’à l’autre bout du spectre, 14 % des télétravailleurs disent ne plus souhaiter télétravailler du tout après la crise sanitaire.

Selon les âges.

  • Le télétravail est davantage plébiscité par les milléniaux (nés entre 1978 et 1994)
  • La génération X (nés entre 1965 et 1977) qui sont respectivement
    79 % et 72 % à vouloir télétravailler.
  • La génération Z (nés après 1995) et les babyboomers (nés entre 1945 et 1964)

La moindre appétence de la génération Z pourrait s’expliquer par le fait qu’étant la plus jeune, elle est au tout début de sa carrière professionnelle, vit encore dans des conditions modestes, voire difficiles, en matière de logement et aspire à une forte socialisation avec les pairs.

Quant aux baby-boomers, ils sont, eux, en fin de carrière, peinent sans doute davantage à modifier leurs habitudes de travail et sont moins à l’aise avec les outils technologiques.

Selon les catégories socioprofessionnelles.
85 % des cadres et 82 % des cadres dirigeants veulent continuer à télétravailler contre 67 % des employés (la moyenne globale étant de 73 % des répondants).

Selon la localisation géographique. 83 % des salariés franciliens souhaitent poursuivre le télétravail, contre 70 % des salariés en ville moyenne et 64 % dans les petites villes.

Et si le télétravail changeait le travailleur ?

Certes il aura remis en cause la notion du travail, le rapport à soi et les interactions avec le groupe ou par le collectif, l’individu peut progressivement ne pas tenir compte des points de vue des autres, et penser que son identité professionnelle ne dépendra que de ses propres actes : Ce serait un réel danger pour la santé mentale de chacun de nous et de la société !